Ecrits

 La nuit 2

Cette nuit elle a téléphoné, laissé un long message. D’une île lointaine.

Simplement parce que l’on va faire quelque chose ensemble ; un livre, un cahier d’artiste, une histoire…

Sans doute parce que l’on a des devoirs, des doutes, des passés, des peurs de l’avenir ; des dettes…

On ne sait pas du tout pour l’instant.

Peut-être qu’il y a un risque que ce soit déjà trop tard.

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J’entends son message.

Magnifique. Je me sens bien et je l’écoute un nombre de fois anormal.

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Et puis tout se passe la nuit. Un lieu différent, décalé de la multitude.

C’est très important dans l’histoire que l’on se propose. Sans doute l’essentiel, à l’origine…

Elle est petite fille aux bords singuliers du désert. D’un désert qui risquerait d’être autre maintenant qu’elle est adulte ; que les sables vont et viennent comme les marées basses et hautes des côtes océaniques de mon enfance.

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Je prête de plus en plus attention à sa voix, sa voix qui me fait penser à celle de Jeanne Moreau.

Qui s’incruste dans le nocturne de l’atelier comme une mer salée s’insinuant entre les infractuosités des rochers du côté de la presqu’île du Cabellou en Finistère.

Qui envahit de sa résonnance les lueurs des lieux de l’oued algérien d’où elle vient ; des ocres sombres d’une immensité lointaine.

Qui me renvoie aux nuits blanches de mon enfance fragile d’asthmatique.

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Heureusement la nuit est longue. Elle se prolonge curieusement…

Je capte des images. De l’infini ; de l’inconnu ; des messages de sa voix…

Alors ma pensée s’habille de couleurs, de vibrations de noirs qui libèrent des clartés encore infimes dans la pénombre.

Il s’agit bien d’images, de formes naissantes, de matières, de mots s’extrayant de cette nuit offertoire.

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Aujourd’hui comment faire ?

Comment nous « penser » les enfants que nous avons été, dans leurs nuits respectives, leurs rêves, leur émotivité, peines et joies face au désert et à l’océan ?

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La mémoire du mobile a emporté soudainement ses mots que j’aurais voulu noter.

C’est sans doute parce que c’était nécessaire pour écrire.

Sa voix est demeurée en elle ; il faut que la mienne reste également dans la nuit.

Puis tout s’est dissout, ensevelli dans nos sables respectifs.

Une trop haute marée montante…

C’est maintenant, au matin, qu’une histoire commence…

Gilbert Conan